A peine le retrait des GI entamé, la France s'invite à Bagdad, à l'affût de contrats.
C'est ce qui s'appelle s'engouffrer dans la brèche. Au lendemain du retrait des soldats américains des grandes villes irakiennes, le premier Ministre français, François Fillon, a pris mercredi soir le chemin de Bagdad pour une visite de vingt-quatre heures avec le gratin de l'industrie et de la finance françaises. Une délégation d'une trentaine de personnes qui comprenait la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, la patronne du Medef, Laurence Parisot. Et, surtout, une kyrielle de grands patrons : Christophe de Margerie (Total), Louis Gallois (EADS), Bruno Laffont (Lafarge), Henri Lachmann (Schneider), Henri Proglio (Veolia), Jean-Louis Chaussade (Suez Environnement)...
Sur place, Fillon a eu l'honnêteté d'y aller franco. "Les gens qui m'accompagnent sont venus avec la ferme intention de développer leurs activités en Irak", a-t-il annoncé lors d'une conférence de presse commune avec son homologue irakien, Nouri al-Maliki. "Il n'y a aucune raison que nous ne retrouvions pas la qualité des relations économiques qui furent les nôtres dans le passé." La France fut en effet il y a quelques dizaines d'années, et notamment pendant la guerre avec l'Iran (1980-1988), l'un des plus grands partenaires commerciaux de l'Irak.
Contentieux. Après lui avoir vendu plusieurs dizaines de Mirage F1, des appareils de supériorité aérienne et d'attaque au sol plutôt sophistiqués, la société Dassault n'a ainsi cessé, tout au long des années 80, de faire des allers et retours Paris-Bagdad, dans l'espoir de placer - en plus - des Mirage 2000. Un deal qui intéressait bougrement Saddam Hussein mais fut bloqué par le gouvernement français en raison du contentieux financier qui l'opposait, alors, à Bagdad. Le 2 août 1990, l'invasion du Koweït par l'Irak sonna de toute façon le glas des ambitions des vendeurs d'armes et autres businessmen français dans le pays.
Le voyage d'hier visait donc purement et simplement à rétablir ces liens anciens. "Nous ne partons pas de zéro, nous reprenons, nous retrouvons une longue histoire commune", a d'ailleurs souligné Nouri al-Maliki. Il existe en effet une vraie fenêtre d'opportunité. "Les Irakiens ont très envie de se soustraire de la tutelle américaine, c'est pourquoi ils souhaitent faire affaire avec d'autres investisseurs qu'ils connaissent bien, parmi eux les Français", affirmait ainsi un proche de François Fillon.
Deux entreprises françaises sont particulièrement bien placées sur le marché : le cimentier Lafarge et le pétrolier Total. Lafarge, parce qu'il se retrouve implanté en Irak grâce au rachat du cimentier égyptien Orascom qui, en décembre 2007, lui a ouvert les portes de tout le Moyen-Orient. Le groupe français dispose ainsi de deux sites près de Sulaymaniah, dans le Kurdistan irakien, qui produisent 4 millions de tonnes de ciment pour le marché national, soit un quart de tout ce qui est consommé dans le pays (16 millions de tonnes). Seul cimentier étranger dans ce pays, Lafarge espère donc profiter à plein de la croissance attendue du secteur (+ 16 % en 2009). "Les besoins de construction du pays sont énormes, nous a expliqué hier, depuis Bagdad, Marcel Cobuz, responsable du marché local chez Lafarge. Le gouvernement a chiffré à 200 milliards de dollars [142 milliards d'euros, ndlr] les besoins de rénovation de l'infrastructure. Et 4 millions de logements doivent être construits dans les années qui viennent pour accueillir les personnes déplacées pendant la guerre." Un pur eldorado pour un cimentier.
Quant au pétrolier Total, il est quasiment né en Irak à l'époque où il s'appelait la Compagnie française des pétroles, et possédait des droits dans Irak petroleum company (IPC). Le marché s'est fermé quand IPC a été nationalisée. Mais les liens n'ont jamais été vraiment rompus. De gros contrats étaient sur le point d'être signés quand l'embargo a fermé le pays mais Total est resté en contact pour le jour où celui-ci se rouvrirait. On peut comprendre son intérêt: l'Irak possède les deuxièmes plus grosses réserves de pétrole de la planète...
Enveloppe. C'est ainsi que, mardi, Total a participé, avec une trentaine d'autres majors, à un appel d'offres surréaliste organisé par le gouvernement irakien pour huit gisements (6 pétroliers et 2 gaziers). Celui-ci les exploite déjà mais il souhaite les développer et a donc besoin des investissements et de la technologie des étrangers. Tous les Exxon, Shell, BP, et autres Total avaient donc ce jour-là, lors d'une cérémonie publique, remis des enveloppes avec, pour le gisement qui les intéressait, le niveau de production auquel il souhaitait arriver (maximum bien sûr) et le prix pour lequel il pensait y parvenir (minimum évidemment). Sur les 8 champs, un seul a fait l'objet d'une adjudication. Celui de Roumaila, emporté par le britannique BP associé au chinois CNPC, car eux seuls ont accepté de ramener leur coût d'exploitation de 3,99 à 2 dollars le baril pour respecter le plafond fixé par le gouvernement irakien.
La route est donc encore longue pour Total qui, pour l'instant, œuvre à partir d'Amman mais envisage d'ouvrir un bureau à Bagdad d'ici à la fin de l'année. Le pétrolier a un atout, son patron, Christophe de Margerie, qui a bâti sa carrière dans les pays arabes où il est quasi considéré comme un chef d'Etat. C'est d'ailleurs lui qui a été nommé coprésident du conseil franco-irakien des chefs d'entreprises constitué hier par Al-Maliki et Fillon.
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